La peur, l'appréhension
Pour une fois, je ne m'appuierais pas sur un article pour réagir à l'actu, mais je voulais réagir aux conversations que j'ai eues ces derniers temps avec des motard(e)s Lyonnais(es).
Les motards peuvent être perçus comme de gros durs, des tatoués, à la virilité exacerbée. Mais derrière ce mythe se cache une réalité. Tous, à un moment ou à un autre, nous avons peur. Et le reste du temps, nous vivons dans l'appréhension de ce que peut faire un autre usager.
Surveiller le regard des autres usagers dans leurs rétros, s'assurer d'être vus pour éviter de se mettre en danger... Anticiper la route, les réactions potentielles des autres, cela fait partie du quotidien du motard, et c'est ce qui nous permet de nous mettre relativement en « sécurité », en se ménageant une marge de manœuvre ou un échappatoire.
Le côté bravache, celui du motard ou de la motarde qui ne lambine pas, qui sait essorer la poignée de gaz, qui frotte ses cale-pieds, qui use son pneu au-delà de la bande de peur... C'est un mythe que nous entretenons tous. Oui, il nous arrive de vivre des sensations fortes. Parfois, quand les conditions s'y prêtent, nos cale-pieds frottent, même à allure réduite... Parfois aussi, lorsqu'il n'y a personne sur la route, nous sommes tentés d'ouvrir les gaz.
Mais derrière tout cela, il y a des hommes et des femmes comme tout un chacun. La seule chose qui nous différencie des autres usagers, c'est l'absence de protection. Dans un monde hyper-sécuritaire, la moto nous offre des sensations que ne connaitront pas les automobilistes.
En liaison directe avec notre environnement, malgré la morsure du froid, malgré la pluie ou le vent, il y a toujours un motard qui roule quelque part. Et sa quête, c'est celle des sensations justement. Se faire peur, ça fait partie de la moto, et certains n'ont pas honte de l'admettre.
Sont-ils des lopettes pour autant? Personnellement, je ne pense pas. Avoir peur, c'est une réaction saine, qui nous pousse à éviter de nous mettre en position de danger exacerbé.
Apprendre la chute d'un copain, être témoin d'une sortie de route, rendre visite à un motard accidenté, cela fait partie des raisons qui nous poussent à rester raisonnables, à mettre l'accent sur notre équipement, à adopter un comportement responsable. Il y a une expression que j'ai lu quelque part et qui résume bien cet été de fait: « A moto, c'est quand on commence à prendre de l'assurance qu'il vaut mieux en avoir souscrit une bonne ».
Cet adage, c'est celui que nous adoptons tous, même si nous jouons parfois les bravaches, les provocateurs, devant les autres motards. Mais c'est surtout une façon de 'intégrer, d'adopter l'image du motard.
Celui qui vous dit qu'il n'a jamais expérimenté cette angoisse, qu'il est sûr de lui et de sa capacité à « piloter », c'est bien souvent un motard avec peu d'expérience. Les « vieux motards », eux, savent... Ils ont vu les dégâts... Ils ont parfois une boule dans la gorge dans certaines situations...
Mais ils s'appuient surtout sur l'expérience collective pour éviter de se faire déboîter sous le nez, de se faire couper la route...
Certains se posent parfois la question: « à quoi bon? Est-ce que je ne serais pas mieux en voiture? ». Et puis ils reprennent le guidon, dévorent du bitume, et le virus fait son chemin, jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus se passer de leur guidon.
Certains, dont je fais partie, ont payé un tribut à notre passion commune. Pour quelques-uns, les conséquences ont été dramatiques. Pour d'autres comme moi, retrouver un guidon a été une récompense.
Mais pour nous tous, c'est la peur qui nous saisit parfois, qui nous étreint de son embrassade glacée. Cette peur qui nous sauve peut-être, qui nous pousse à limiter les risques sûrement.
Alors, la prochaine fois que vous croiserez un motard, même s'il joue les gros bras, rappelez-vous que, tout comme vous, il a peur parfois. Qu'il doute, tout comme vous, mais qu'il continue à rouler, tout comme vous. Quand il vous double, ou vous « dépose », il n'a pas moins peur que vous.
Quand vous le croisez et échangez un salut, c'est aussi le courage de cet homme ou cette femme auquel vous rendez hommage, et cela quelle que soit la cylindrée de sa machine.
Alors, amis motards, je finirais juste en vous disant « courage », tenez bon le cap et continuez à avoir peur, à appréhender la route. Ainsi, les autres auront toujours le plaisir de vous croiser et de bavarder avec vous, de rouler avec vous, et d'arriver au bout de la balade sans gros bobo...
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